Plonger la peur au ventre
Exploratrice dans l’âme, la Canadienne Jill Heinerth brave tous les dangers pour révéler les mondes sous-marins.

Plongeuse sous-marine, photographe et réalisatrice, Jill Heinerth accompagne des expéditions scientifiques à travers le monde. Elle est la première exploratrice en résidence de la Société géographique royale du Canada.
Curium : Quelle est votre expérience la plus marquante ?
Jill Heinerth : En 2001, j’étais en Antarctique avec une équipe de recherche pour intercepter l’iceberg B-15. Je suis alors devenue la première personne à avoir plongé à l’intérieur d’un iceberg.
C : Attendez… On peut plonger dans un iceberg ?
J.H. : Oui, et c’est extraordinaire ! Il y a des grottes sous-marines au coeur des icebergs. L’intérieur du B-15 était incroyable, tellement mystérieux ! C’est comme découvrir une autre planète.
C : Pour cette expédition, vous avez utilisé un système de respiration inhabituel qui recycle l’air expiré. Pourquoi ?
J.H. : Pour pouvoir rester plus longtemps sous l’eau. À l’époque, ce système de survie, semblable à celui des astronautes, était rarement utilisé pour la plongée. On doutait de son efficacité. Pourtant, sans lui, je ne serais pas revenue.
C : Que s’est-il passé ?
J.H. : Pendant une plongée, de forts courants se sont formés. Je me suis retrouvée piégée sous l’iceberg. Ressortir a été extrêmement difficile. La plongée devait durer une heure. J’ai passé trois heures à lutter pour ma vie, dans une eau à -2 ˚C. Un autre équipement de plongée ne m’aurait pas permis de tenir aussi longtemps. Sans recycleur, j’aurais manqué d’air.
C : Vous plongez jusqu’à 140 mètres de profondeur, vous parcourez plusieurs kilomètres sous l’eau, parfois toute seule… Comment gérez-vous le danger ?
J.H. : Avoir peur avant une plongée, c’est essentiel. Je m’ajuste progressivement et je me concentre sur la sensation d’accomplir quelque chose. Ce que je fais est extrêmement dangereux, mais je le fais pour un objectif plus grand : rapporter des données utiles.
C : Comment contribuez-vous à la science ?
J.H. : J’ai accès à des environnements inaccessibles à la plupart des scientifiques. Je suis leurs mains et leurs yeux. Je prélève des échantillons, je capte des images, je prends des mesures qui serviront aux analyses. Ça m’amène à collaborer avec toutes sortes de chercheurs et de chercheuses : paléoclimatologues, biologistes, historien·ne·s, archéologues…
C : Quel est votre lieu de plongée favori ?
J.H. : Les grottes sous-marines des Bahamas et des Bermudes sont les plus belles. Mais l’endroit le plus significatif pour moi, ce sont les grottes sous la rivière des Outaouais, où je mène actuellement des recherches. J’y ai découvert un écosystème qui n’a jamais été étudié ailleurs sur la planète. Pouvoir le décrire et contribuer à le protéger, ça me fascine.
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